Les larmes de Monique.

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Saint Augustin raconte sa propre conversion liée à la supplication de sa mère, Monique*.

D’en haut, tu m’as tendu ta main, mon Dieu, tu as arraché mon âme du fond de mes ténèbres, tandis que ma mère, ta fidèle servante, pour moi versait vers toi des larmes plus abondantes que les pleurs versés par les mères sur le corps d’un défunt. Car par sa foi et ton Esprit, elle voyait bien que j’étais mort. Et tu l’as exaucée, Seigneur ! Tu l’as exaucée, et tu n’as pas méprisé ses larmes, lorsque, coulant à flots, elles inondaient la terre, au-dessous de ses yeux, dans tous les lieux de sa prière !

Tu l’as exaucée ! Sinon, d’où serait venu le songe par lequel tu l’as réconfortée, au point qu’elle accepta de vivre avec moi et d’avoir avec moi table commune à la maison ? Elle l’avait d’abord refusé, se détournant et détestant les blasphèmes où me jetait mon erreur. Eh bien ! Elle se vit debout sur une sorte de règle de bois. Un jeune homme venait à elle, resplendissant, épanoui, et lui souriait, alors qu’elle était triste, et triste jusqu’à l’accablement. Il lui demanda les causes de sa tristesse et de ses larmes quotidiennes ; cela pour l’instruire, comme on le fait souvent, non pour s’instruire. Elle répondit qu’elle se lamentait de ma perte. Alors il l’invita à se rassurer, et l’engagea à regarder attentivement : elle verrait que là où elle était, j’étais moi aussi. Elle regarda, et me vit aussitôt à côté d’elle, debout sur la même règle.

Elle m’avait raconté cette vision, et moi, je tentais de forcer les choses à signifier que c’était plutôt elle qui ne devait pas désespérer de devenir ce que j’étais ; mais à l’instant, sans une hésitation : “Non, dit-elle, non, on ne m’a pas dit : là où il est lui, tu es toi aussi, mais : là où tu es toi, il est lui aussi”. Je t’avoue mon souvenir, Seigneur, tel que je me le rappelle, cette réponse qui, par la bouche d’une mère vigilante, était la tienne. Le fait qu’une fausse interprétation si plausible ne l’ait pas troublée, et que ma mère ait vu si vite ce qu’il fallait voir, alors que moi je ne l’avais pas vu avant qu’elle ne me l’ait dit, tout cela m’impressionna plus que le songe lui-même, où pour apaiser son inquiétude présente, lui fut prédite, si longtemps avant, la joie que devait ressentir cette pieuse femme si longtemps après.

De fait, près de neuf ans se sont écoulés depuis. Moi, je les ai passés dans cette boue des bas-fonds, dans les ténèbres du mensonge et, malgré de fréquents efforts pour me lever qui me laissaient plus lourdement brisé, je m’y suis roulé. Pendant ce temps cette veuve comme tu les aimes : chaste, pieuse et sobre, déjà plus allègre sans doute dans l’espérance, mais non moins assidue aux larmes et aux gémissements, ne cessait, à toutes les heures de sa prière, de se lamenter sur moi auprès de toi. Ses prières entraient en ta présence, et pourtant tu me laissais encore me rouler et m’enrouler dans ces ténèbres.

Entre-temps, tu donnas une seconde réponse qui me revient à l’esprit. Tu lui donnas une seconde réponse par ton prêtre, un évêque nourri par l’Église et rompu à l’intelligence de tes livres. Cette femme l’avait prié de bien vouloir s’entretenir avec moi, réfuter mes erreurs, me désapprendre le mal et m’apprendre le bien. Il refusa, sagement en vérité, je le compris plus tard. Il lui répondit que j’étais encore incapable d’être éclairé, du moment que j’étais tout enflé par la nouveauté de cette hérésie. “Mais, dit-il, laisse-le là, prie seulement le Seigneur pour lui. De lui-même, il découvrira par ses lectures la nature de cette erreur et la grandeur de son impiété”.

Il eut beau dire, elle ne voulait pas entendre raison, mais elle insistait, se faisait plus suppliante, redoublant de larmes, pour qu’il me voie et discute avec moi. Et lui, un peu gagné déjà par l’impatience et l’ennui, de répondre : “ Va-t’en ! Aussi vrai que tu vives, il ne peut se faire que le fils de telles larmes périsse !”. Dans ses entretiens avec moi, elle me rappelait souvent qu’elle accueillit cette parole comme si elle eût retenti du haut du ciel.

 Confessions, III, 19-21.

Qui était sainte Monique?

* Monique était la mère de saint Augustin d’Hippone (✝ 387)

Saint Augustin et sainte Monique au port, vitrail de l'église Saint-Vaast

Née en Afrique du Nord dans une famille chrétienne, Monique est mariée très jeune à un notable païen de Thagaste, Patricius. Elle sera une épouse modèle pour ce mari infidèle et violent que sa douceur et son silence sous les reproches finiront par convertir. Elle a de lui trois enfants, dont le futur saint Augustin. Veuve en 371, elle se dévoue à ce fils qui semble « mal tourner ». Tout d’abord, il vit maritalement avec une femme dont il a un fils. Mais le plus douloureux reste l’adhésion à la secte manichéenne, si opposée à la foi chrétienne. Que de larmes cet enfant coûte-t-il à sa mère. Des larmes importunes pour cet esprit libre. Pour y échapper, Augustin s’enfuit en Italie et Monique le rejoint à Milan où elle se met à l’école de l’évêque saint Ambroise. C’est alors qu’elle a la joie immense d’assister à la conversion et au baptême du fils chéri. Désormais elle ne sera plus un reproche vivant, mais une aide et même une disciple quand s’affirmera l’ampleur intellectuelle et spirituelle du futur Père de l’Église. Un soir, à Ostie, ils ont le bonheur de partager une expérience spirituelle intense qu’Augustin n’évoquera qu’à demi-mots dans ses « Confessions ». Elle mourra quelques jours plus tard, mère comblée de ce fils qui l’avait tant fait pleurer. https://nominis.cef.fr/contenus/saint/1095/Sainte-Monique.html

Vous pouvez trouver ici les lectures quotidiennes que les moines entendent au cours de l’office de nuit : https://www.citeaux-abbaye.com/fr/les-cisterciens-hier-aujourd-hui-demain/les-echos-de-citeaux-2/39-la-lecture-de-vigiles/112-citeaux-vigiles